Dix différences entre les pays qui décollent et ceux qui régressent

Sorry, this entry is only available in French. For the sake of viewer convenience, the content is shown below in the alternative language. You may click the link to switch the active language.

Je vais parler d’un sujet qui me tient à cœur, étant moi-même citoyen d’un pays qui a tous les atouts pour décoller, mais qui malheureusement n’y arrive pas. Le sujet est d’autant plus brûlant que la région d’où je viens a tourné la page à des décennies d’autarcie et qui est en train de se chercher sans arriver à se trouver vraiment.

Les différences que je vais évoquer ne sont pas celles que vous imaginez, comme la localisation géographique, les ressources naturelles, les lois ou les institutions. Je vais parler d’autre chose. De tout ce qui fait la vraie différence pour un pays entre le fait de voler de ses propres ailes ou de creuser un trou pour s’y enfoncer sans espoir.

Je vais utiliser parfois le terme « les pays en essor » pour les pays qui décollent et les « pays en déclin » pour les pays qui régressent.

1re différence : la règle de droit

Les pays en essor ont un système régi par la règle de droit. Les prémices de l’existence d’un État se trouvent dans le respect et l’implémentation juste et égalitaire de la règle de droit. Dans tous les pays, il existe des individus, des clans et des tribus qui veulent se soustraire aux exigences d’une entité qui les transcende. Mais la conscience du respect de la règle de droit et par suite l’appartenance à un État doivent être le leitmotiv commun. Celui-ci ne se décrète pas, il se construit et évolue avec le temps.

Les pays en déclin ont un système basé sur la corruption organisée. Les individus, les clans et les tribus qui se trouvent en position de pouvoir s’organisent en des réseaux de corruption pour tirer des avantages non mérités pour leurs membres au détriment de la majorité des citoyens. Dans les pays en déclin, l’État va servir d’alibi pour voler les biens communs en toute impunité. Le pays recule à mesure que ces privilégiés augmentent leur fortune et leur pouvoir. Le pays est mis en coupe réglée par son élite. Le changement est difficile parce que les victimes de ce système n’ont pas la conscience d’être des citoyens, mais des membres de tribus et de clans rivaux.

Je pense ici tout naturellement à mon cher pays, le Liban. Mais rassurez-vous : comparé aux autres pays de la région, du Golfe à l’Afrique du Nord, il figure parmi les premiers de la classe.

2e différence : une vision à long terme

Les pays qui décollent pensent à long terme, ceux qui régressent pensent à court terme. Penser à long terme, c’est avoir une vision de ce qu’on veut être, c’est savoir qui on est, où on se trouve et pourquoi on existe. C’est élaborer une stratégie pour réaliser notre vision et des objectifs pour avancer. C’est être visionnaire. Essayer d’analyser où va le monde et se positionner là où on peut le mieux tirer profit de nos atouts. Dans les années 60, le Liban était un centre commercial et financier de la région. C’était facile parce qu’il était le seul centre de la région. Avons-nous pensé à long terme ? Non, sinon on n’aurait pas eu la guerre. Dans les années 90, une autre opportunité s’est offerte à nous. Avons-nous pensé à long terme ? Non. Nous avons préféré être des marchands immobiliers au lieu d’être des innovateurs. Et aujourd’hui même, une autre opportunité se présente à nous (avouez que nous sommes chanceux). Sommes-nous en train de penser à long terme ? Non (avouez que nous sommes idiots). Nous avons adopté l’inaction comme principe d’action.

Penser à court terme, c’est, entre autres, penser en termes de commissions, de combines, d’arrangements entre amis. C’est consommer sans produire. C’est pratiquer la cavalerie financière en faisant semblant de travailler.

3e différence : parler d’idées

Dans les pays en essor, la classe politique parle d’idées. Dans les pays en déclin, elle ne fait que du potin. Elle n’a pas appris à raisonner, à penser par elle-même. Elle camoufle alors son ignorance dans de la morale, du dédain, des injures, des clichés et des potins. Elle sert à annihiler tout esprit critique, toute germination d’idées. Tout le monde se souvient du nombre impressionnant de potins avancés par les politiciens libanais et révélés par Wikileaks.

4e différence : le changement, une opportunité ou une menace ?

Les pays qui décollent embrassent le changement ; les pays qui régressent se sentent menacés par le changement. Un grand changement historique se produit sous nos yeux. Toute la région se trouve en ébullition. Un tel changement ne peut être réduit à un seul facteur, trop réducteur.

Un tel changement ne peut être que le fruit de beaucoup de facteurs : un ras-le-bol interne, combiné à un appui externe, à un contexte propice, etc. Mais là n’est pas la question. La question est de savoir comment un pays comme le Liban ressent ce changement. Eh bien, comme une menace. Mieux vaut ne pas s’en mêler pour préserver notre stabilité, notre économie, nos acquis, bref notre système. Mais, bon sang, quel système ?

Un antisystème, oui, qui a toutes les malformations génitales des systèmes que les autres veulent changer. Les pays qui décollent osent changer de modèle ; ceux qui régressent ne changent jamais.

5e différence : éducation continue ou limitée

Dans les pays qui décollent, l’éducation est continue. Dans les pays qui régressent, l’apprentissage, quand il existe, se termine à l’école. L’éducation est le fondement de toute politique pour un pays qui veut progresser. L’éducation pour tous, mais aussi l’éducation continue. Il faut investir dans la recherche et dans l’innovation, la financer, la protéger, former les talents et les garder. L’éducation aujourd’hui, c’est quelque chose de subtil, c’est avant tout apprendre à raisonner, à analyser les différentes sources d’information.

Ce n’est plus mémoriser. Ce n’est plus soumettre les élèves à un dressage. Il faut former les formateurs, éduquer les éducateurs, les rétribuer à la mesure du service qu’ils rendent à la collectivité.

 

 

6e différence : la générosité comme stratégie

Dans les pays qui décollent, le gouvernement est généreux. Il croit au partage équitable des revenus parce qu’il sait que c’est la clé de la stabilité. Dans les pays qui régressent, les membres du gouvernement, à force d’accaparer tout avec une facilité déconcertante, croient qu’ils n’ont pas les moyens de donner ni de partager. De tous les vices, l’avarice est le plus odieux. Couplé à la cupidité et à l’égoïsme de la classe dirigeante, cela devient mortel pour un pays.
7e différence : la diversification des sources de revenus

Les pays qui décollent ont plusieurs sources de revenus. Ceux qui régressent en ont une seule. Les pays qui décollent font fructifier leurs ressources. Par exemple, transformer une ressource rare et par suite périssable, comme le pétrole ou le gaz, en une ressource permanente. On parle de création de richesses par opposition à la destruction et à la dilapidation des richesses dans les pays en déclin.

8e différence : le rôle des médias

Dans les pays qui décollent, les médias posent les questions qui leur donnent le pouvoir. Dans les pays qui régressent, c’est le contraire qui se produit. On ne cherche pas la vérité, on recherche des sources de financement. Ce qui fausse le jeu et fait des médias les porte-parole dociles des classes et sous-classes politiques.

9e différence : la protection des talents

Les gens talentueux sont rares. Les pays qui décollent savent les garder et profiter de leurs talents. Les pays qui régressent les voient comme une menace et les poussent à fuir. Ils pratiquent une politique basée sur l’émigration, la personne humaine ne valant que par l’argent qu’elle peut transférer au pays. Dans cet univers, seuls les médiocres restent. Ils font du surplace dans tous les métiers qu’ils exercent et le pays s’en trouve ramené en arrière. Dans les pays qui décollent, l’ascenseur social fonctionne. Dans ceux qui régressent, l’ascenseur reste bloqué.

10e différence : le sens des priorités

Dans les pays qui décollent, on établit un agenda national sur les priorités. Le budget en constitue une pièce maîtresse. On va vers l’essentiel, la justice, les institutions, les méthodes de financement, les infrastructures, la fiscalité, l’égalité sociale, la lutte contre la pauvreté, etc. Dans les pays qui régressent, c’est la loi de la jungle, où chaque composante du gouvernement possède son agenda propre et personne n’est responsable.

(18 avril 2012)